Appel lancé à l’Europe par un groupe d’intellectuels pour que l’UE entame l’ouverture de négociations de paix entre la Russie et l’Ukraine. Le texte a été publié par le Corriere della Sera, par Frankfurter Rundshau et Freitag en Allemagne, joint sur Ydin en Finlande et dans d’autres pays.
L’extension des guerres crée un danger sans précédent pour l’état du monde. Assurer la paix et trouver des moyens de résoudre les conflits armés est un devoir fondamental des gouvernements. L’Europe a la responsabilité particulière de commencer à chercher des moyens de mettre fin à la guerre qui se déroule dans sa région – la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
Après plus de deux ans de combats, suite à l’invasion russe, la guerre entre l’Ukraine et la Russie se trouve dans une sorte d’impasse prolongée, avec un risque permanent d’élargissement et d’approfondissement des activités de guerre. Quels que soient les objectifs initiaux des agresseurs et la résistance justifiée des victimes, une compréhension rationnelle de la situation actuelle amènerait les deux parties à reconnaître que leurs objectifs ne peuvent être atteints. Il est désormais de la responsabilité de l’Europe de contribuer à l’arrêt de la guerre et d’aider à mettre en place les conditions d’une résolution juste.
Toute résolution possible de la guerre entre l’Ukraine et la Russie commence par des négociations entre les deux parties, soit directement, soit par le biais d’intermédiaires, qu’il s’agisse d’un cessez-le-feu, de la fourniture d’armes, de l’intégrité territoriale ou d’une solution pacifique durable.
Des efforts pour amener les deux parties à la table des négociations ont été tentés dans le passé par des tierces parties – notamment par la Turquie – sans résultat. Le 9 mars 2024, le pape François a demandé l’ouverture de négociations. Aujourd’hui, à la veille des élections du Parlement européen de juin 2024, nous avons l’occasion d’inscrire la nécessité de mettre fin à la guerre à l’ordre du jour de l’Union européenne.
Avec la guerre en Ukraine, les pays de l’UE ont étendu leurs activités dans les domaines militaires – recherche, production, transferts d’armes, initiatives de défense et de sécurité. Les gouvernements de l’UE se sont de plus en plus impliqués dans la fourniture à l’Ukraine d’armes plus puissantes, de renseignements et d’un soutien économique. Le risque d’une escalade conduisant à des épisodes de confrontation entre la Russie et les pays européens de l’OTAN est alarmant. La présence d’armes nucléaires russes, américaines, françaises et britanniques en Europe accroît considérablement le danger actuel.
L’UE et les gouvernements européens ont jusqu’à présent refusé d’œuvrer en faveur d’une fin négociée de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Dans le cadre du débat actuel sur les élections européennes, la question des négociations et d’une initiative de l’UE pour mettre fin à la guerre devrait être inscrite à l’ordre du jour des candidats, des partis politiques et des gouvernements, dans le prolongement de l’appel passionné du Pape François. Le prochain Parlement européen devrait convoquer une conférence exploratoire impliquant les deux parties et entamer une discussion sur un éventuel ordre de paix et de sécurité en Europe après la guerre en Ukraine. Les objectifs de ces discussions pourraient être de ré-humaniser les parties en conflit, de reconstruire la confiance, de suggérer des mesures pour réduire les tensions et la violence, et d’explorer les moyens d’arrêter la guerre. Les perspectives d’avenir doivent inclure la protection des droits de l’homme, des garanties de sécurité, la reconstruction économique et une distanciation par rapport au nationalisme radical et au militarisme.
Ces efforts seraient bien accueillis par les quelque six millions d’Ukrainiens et un million de Russes qui ont quitté leur pays depuis le début de la guerre. Il serait important que ces efforts soient soutenus par des groupes de citoyens ukrainiens et russes vivant dans les pays de l’UE. Les organisations de la société civile européenne de tous types pourraient participer activement, notamment les institutions religieuses, les organisations sociales, les groupes de solidarité et de paix, les groupes de femmes, les groupes de jeunes, les réseaux d’entreprises, les syndicats, les réseaux scientifiques, les organismes culturels et sportifs, les organisations médiatiques, ainsi que les artistes, les écrivains et les intellectuels à titre individuel. Nous aimerions que des événements appelant à “Négociations maintenant !” soient organisés pendant la campagne des élections européennes. Les actions de “diplomatie par le bas” contribueront à créer les conditions nécessaires à de telles négociations, y compris en Ukraine et en Russie.
Il n’est écrit nulle part que la paix et la sécurité commune sont l’affaire des seuls gouvernements. En fin de compte, ce sont les peuples – agissant également en tant que citoyens et électeurs – qui peuvent accepter la guerre ou défendre la paix.
13. Mai 2024
Luciana Castellina, ancienne membre du Parlement européen et du Parlement italien
Colin Archer, ancien secrétaire général du Bureau international de la paix
Peter Brandt, professeur émérite d’histoire contemporenne, Fern-Universität Hagen
Donatella della Porta, professeur de sciences politiques à la Scuola Normale Superiore, Florence
Tapio Kanninen, ancien chef de la planification au département des affaires politiques des Nations Unies
Michael Löwy, ancien directeur du recherche des sciences sociales, CNRS, France
Gian Giacomo Migone, ancien chef de la commission des affaires étrangères du Sénat italien
Heikki Patomäki, professeur de relations internationales à l’université d’Helsinki
Mario Pianta, professeur de politique économique à la Scuola Normale Superiore, Florence
Carlo Rovelli, professeur de physique à l’université d’Aix-Marseille, cofondateur de l’initiative “Global Peace Dividend”.
Wolfgang Streeck, directeur émérite de l’Institut allemand Max-Planck pour la recherche sociale